Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent, 
Nul n'aura comme moi si chaudement aimé 
La lumière des jours et la douceur des choses, 
L'eau luisante et la terre où la vie a germé.

La forêt, les étangs et les plaines fécondes 
Ont plus touché mes yeux que les regards humains, 
Je me suis appuyée à la beauté du monde 
Et j'ai tenu l'odeur des saisons dans mes mains.

J'ai porté vos soleils ainsi qu'une couronne 
Sur mon front plein d'orgueil et de simplicité. 
Mes jeux ont égalé les travaux de l'automne 
Et j'ai pleuré d'amour aux bras de vos étés.

Je suis venue à vous sans peur et sans prudence, 
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal, 
Ayant pour toute joie et toute connaissance 
Votre âme impétueuse aux ruses d'animal.

Comme une fleur ouverte où logent des abeilles 
Ma vie a répandu des parfums et des chants, 
Et mon cœur matineux est comme une corbeille 
Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.

Soumise ainsi que l'onde où l'arbre se reflète 
J'ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs 
Et qui font naître au coeur des hommes et des bêtes 
La belle impatience et le divin vouloir.

Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature, 
Ah ! faut-il que mes yeux s'emplissent d'ombre un jour 
Et que j'aille au pays sans vent et sans verdure 
Que ne visitent pas la lumière et l'amour...

Anna de Noailles